La naissance de Simple abri
André et Andréa,
mariés deux enfants, propriétaires de leur habitation principale, souhaitent acheter une maison de vacances
pour sortir de Nice, dès les beaux jours et surtout l'été quand la chaleur y
est étouffante.
Le frère et la sœur
d'Andréa les informent que le propriétaire du terrain voisin du leur veut
vendre sa maison. Elle possède un assez grand jardin dans lequel on peut
cultiver ses légumes, y avoir des arbres fruitiers...
Ils pensent à
l'avenir et espèrent avoir leurs enfants et petits-enfants tous réunis, pour
rassembler la famille.
La maison est grande,
sur deux niveaux. Le propriétaire, ancien architecte-géomètre, avait installé
son atelier au rez-de-chaussée. Il y a un garage qui ne communique pas avec l'habitation,
une grande pièce pour l'élaboration des plans, une cuisine et un bureau, des
toilettes et un escalier qui permet d'accéder au premier étage. Là se trouve réellement l'habitation. Trois chambres, une salle de bain, une
cuisine au sud, une salle à manger double avec une cheminée, du parquet dans
les chambres, un damier de marbre noir
et blanc dans les autres pièces, le jardin, au sud de la maison donne sur un
deuxième lot de lotissement puis sur un troisième.
C'est absolument
superbe. Mais bien trop grand pour les
besoins de la petite famille. Et puis c'est trop cher.
L'affaire ne se fera
pas. Du moins pas ainsi, car le propriétaire conscient que la vente de trois
lots de lotissement ensemble serait bien trop difficile, accepte de vendre en
deux lots, la maison d'un côté avec son jardin, et le terrain restant en nature
de terrain à bâtir.
D'ailleurs, la
clôture entre ses deux propriétés n'a pas eu le temps d'être démolie.
C'est le dernier
terrain à bâtir à deux cent mètres du village.
C'est idéal et de
surcroit, le terrain est contigu à la propriété du frère et de la sœur
d'Andréa. Il suffit simplement d'ouvrir un portillon dans la clôture mitoyenne
pour aller d'une propriété à l'autre.
Le tramway vient de
Nice tous les jours et s'arrête sur la place du village, un peu plus bas.
Que des avantages!
Le 7 novembre 1939, l'acte de vente est
signé chez le notaire.
Une des questions
essentielles était aussi de savoir comment accéder à ce terrain.
Le vendeur qui lui-même l'avait acheté 18 mois
plus tôt, avait acquis du lotisseur par le même acte le chemin d'accès qui longeait sa propriété
sur tout son flanc ouest.
Il faut bien dire que lui-même, quand il avait
acquis son lot en fin 1929, la grande dépression pointait son nez. Il a su
faire comprendre au lotisseur que les lots de 650 M² étaient trop grands
donc trop chers. Il proposa d'acheter de moitié d'un lot. Le lotisseur accepta
et divisa ainsi tous les lots du quartier en deux.
Mais certains ne
bordant pas la route, il était nécessaire de créer une voie d'accès pour
quatre des lots dont aucune limite ne bordait la voie publique.
L'architecte-géomètre
se chargea de dresser les plans de ces nouveaux lots. La voie fut dessinée
d'une largeur de 6 m
sur 48 m
de long avec un cercle de 10 m
de diamètre au bout pour le retournement des véhicules et fut prise à cheval
sur la limite commune des lots avant division. A la jonction de ces quatre lots
a été implanté le cercle devant servir d'aire de retournement.
Il acheta, le même
jour que la sous division des lots, le premier terrain en bordure de la voie
communale. C'était le lot 13. Il construisit sa maison, lui donna le nom de son
premier enfant Jacqueline. Un petit garçon naquit ensuite.
Quelques années
après, il acheta le lot 13 bis. Sa
propriété forma ainsi, à l'exception des trois mètres pris sur sa
longueur pour la voie d'accès, l'ancien grand lot du lotissement qu'il avait
divisé quelques années auparavant. Il planta des agrumes, des rosiers grimpants,
aménagea une tonnelle.
Il finit même par
acheter le lot 14 bis qui se situait dans le prolongement des deux siens, en
févier 1938.
Mais en début 1939,
il déménagea, mit cette maison à la vente et redémarra sa vie dans un autre
département avec un autre métier.
Avait commis une
erreur dans le cadre de sa profession ou sentait-il la guerre venir?
Les autres lots
ayant une limite en façade de rue se vendirent aussi en 1929.
Puis 3 des lots issus de la division furent rachetés par
ceux qui avaient acquis les lots en façade. Ainsi les anciens lots étaient
reformés, à l'exception de la surface de la voie d'accès.
Seul le lot 14 bis restait
désespérément sur les bras du lotisseur.
Et la voie d'accès
qui ne sert à personne n'est délimitée sur le terrain que par les clôtures des
riverains. Le lotisseur n'a pas créée, empierrée, goudronnée cette surface.
Elle n'est même pas débroussaillée, ne permettant aucun passage.
Les lots intérieurs,
soit le 14 bis, 13 bis, 16, bis et 12 bis ne sont pas desservis par le tout à
l'égout, l'eau potable, l'électricité…
Nul n'en avait besoin car ces lots étaient à
l'usage de jardin d'ornement. Et l'accès
se faisait par les lots en façade sur rue. Quoi de plus normal! On était simple
à l'époque, et on appréciait le calme et la verdure des espaces derrière leur maison. C'était intime,
discret.
Donc en 1938, l'architecte-géomètre
acquière le lot 14 bis. A cette occasion le lotisseur lui cède la voie d'accès
pour désenclaver ce lot ci, les autres
lots ayant déjà étaient vendus et formant de nouvelles unités immobilières
desservies par la voie publique.
Le lotisseur ne veut
pas faire de frais supplémentaire pour un seul lot. Il propose alors de se
décharger de réaliser la voie d'accès, la viabilisation du lot, et en contrepartie
il cède la voie comme un lot à bâtir.
C'est ainsi que la
voie de lotissement devient privative. L'architecte géomètre vend le lot 14 bis
et sa voie d'accès le 7 novembre 1939.
La guerre est déjà déclarée. C'est inespéré.
André et Andréa
pensent placer leurs économies dans la terre, et ainsi sauver ce qu'ils
peuvent. André a été mobilisé durant la grande guerre et blessé. Il ne sera pas
appelé pour celle-là. Il est déjà âgé de
45 ans.
Dès l'année 1940, aidé
de ses fils, il débroussaille le terrain pour pouvoir y planter des légumes. Il
a trouvé deux pièces à louer dans la maison à côté de ses beaux-frères et
belles sœurs. C'est suffisant pour l'été. Il s'agit juste d'avoir de quoi
dormir.
L'année 40 se passe,
puis 41 et 42. La guerre est finie. On est en zone libre sous occupation italienne.
Mais finalement chaque italien est un peu un parent. Tout se déroule bien.
Un jour il reçoit un
courrier recommandé de la
Préfecture l'informant qu'il faut qu'il libère les deux
pièces qu'il loue dans le village car l'appartement est réquisitionné au profit
d'une veuve de guerre avec un enfant.
Il répond à la
préfecture qu'il est lui-même blessé de guerre avec des enfants, que la santé de son épouse nécessite calme et
repos en dehors de la ville et qu'il a droit à ce titre à conserver ce petit
appartement, qu'il est effectivement
propriétaire du terrain contigüe mais que ce terrain ne dispose pas de
construction.
Rien à faire, il
doit rendre cet appartement.
Après réflexion, il
prend la décision de faire construire un cabanon de six mètres de long sur quatre
de large pour y dormir tous les quatre et y avoir une petite cuisine.
Il appelle alors sa
propriété SIMPLE ABRI.