La boite d'allumettes.
Je suis partie en vacances à la recherche de calme et de sérénité. Mais déjà en refermant la porte d’entrée et en laissant ma maison derrière moi, j’avais trouvé ce que je cherchais.
Alors ensuite, peu importe le lieu, que ce soit beau ou pas, chaud ou froid…. tout m’était indifférent.
Je ne voulais qu’oublier mes soucis: la procédure judiciaire que mon voisin, ce méprisable milliardaire, m’impose afin de pouvoir s’ouvrir un accès dans ma propriété et me spolier de la moitié de la superficie de celle-ci, pour desservir deux malheureux parkings dont il n’a pas besoin, la propriété n’étant pas habitée.
Alors, claquer la porte et ne plus vider la boite aux lettres, c’était une pause dans la lutte. Profiter du climat d’ailleurs, découvrir d’autres patrimoines, d’autres paysages, non seulement cela divertit mais instruit.
Cela faisait l’effet d’être hors du temps, de devenir quelqu’un d’autre, de laisser cette histoire derrière moi, dans mon passé.
Cela laissait l’espoir d’une autre vie.
Au fil des jours qui passent, je m’habituais à cette vie sans contrainte, sans soucis à regarder les vagues caresser le sable, sentir la fine pluie qui n’arrive pas à mouiller, le vent dans les cheveux, sentir la liberté.
Et quand fut l’heure du départ, la fin des vacances, je suis partie sans me retourner, bien consciente qu’il fallait rentrer, que ma vie n’était pas celle des vacances mais celle des problèmes.
Le retour fut éprouvant parce que mon esprit ne voulait pas retrouver toutes ces difficultés mais voulait continuer à vivre paisiblement et ma volonté voulait assumer les difficultés, ne pas faiblir ni lâcher, ne pas fuir les responsabilités.
A mesure que la voiture avalait les kilomètres mon moral faiblissait et si le ciel était bleu, je ne voyais que gris et j’étais triste.
Je mettais ce coup de blues sur la fin des vacances, la reprise du travail, le stress…
Arrivée à la maison, la course à la lessive a débuté d’autant qu’il y avait urgence, la météo prévoyait plusieurs jours de fortes pluies, voire diluvienne. Un épisode cévenol sur la cote d’azur.
La nuit fut agitée et donc courte, peuplée de rêves tenaces qui laissent la sensation que les muscles, le corps ont vécu le rêve.
Quand le réveil sonne, c’est évidement le moment où le bon sommeil réparateur vient de commencer son cycle.
Le petit déjeuner se fit dans le brouillard, sans le secours, ni l’effet, du café qui dissout les nuages. Une migraine survint rapidement, au dessus de œil droit, comme si un grosse pièce ronde venait appuyer sur le front sous la pression d’un étau. Encore un tour de vis, la douleur n’était pas assez forte.
Les yeux avaient peine à tenir ouvert, et la journée de travail s’éternisait.
Je pensais à mon amie à qui les médecins avaient annoncé trois mois plus tôt qu’elle avait développé une tumeur au cerveau inopérable et incurable suite à une très grosse contrariété qui avait chamboulé sa vie.
Cette contrariété, arrivée dans un moment de faiblesse, après un deuil très éprouvant, a été refusée par son mental. Elle ne reculait pas devant l’adversité y faisant face et prenant le problème à bras le corps. Mais elle le prit aussi trop à cœur et le problème a commencé à occuper son esprit le jour et la nuit. Les mots se sont transformés en maux puisqu’une tumeur s’est installée dans le siège de la pensée, là ou est l’individualité, la personnalité. L’atteinte morale s’était transformée en atteinte physique, mortelle.
Elle était condamnée et le savait, malgré un traitement qui visait à empêcher la tumeur de proliférer mais sans espoir de l’anéantir.
Cette nouvelle avait déjà donné un coup à mon moral.
Je pensais que moi aussi, je pouvais développer un cancer dans quelque organe… en réponse à ces procès, à ces contrariétés d’autant qu’il existait des cas dans ma propre famille de sang.
Et je me disais que si cela s'avérait se serait l’épreuve de trop, celle pour laquelle je n’aurais pas l’énergie de me battre.
Et je me surprenais à penser qu’il serait doux de fermer les yeux, de ne plus avoir de problèmes.
Ce serait le repos, le repos éternel.
Mais rapidement, mon esprit cartésien me rappelle qu’on a jamais pu prouver qu’un monde meilleur existe, du style paradis. L’argument suprême: “personne n’en est revenu, c’est donc que c’est mieux qu’ici”.
Et bien moi je dis, justement personne ne témoigne que cela existe, enfer ou paradis.
Quand on est pris dans la tourmente, on se pose la question de l’existence de dieu, de la religion…
Et un jour on a envie d’y croire comme au Père Noël, et le lendemain on se dit que ce n’est pas sérieux, que rien n’est prouvé scientifiquement, que ce dieu laisse le monde à la dérive, les hommes se déchirer, s'entre-tuer, la famine, la maladie et la souffrance.
Quel est ce dieu qui a fait de la terre un enfer vivant? A moins que nous soyons tous morts ici et que nous expions quelques pêchés! Va savoir!
En tout cas j’avais décidé de laisser la religion derrière moi, ne m’étant de toute façon d’aucun secours, ni moral, ni dans les faits.
Je le levais le matin sans envie, sans projets… Et les jours se sont écoulés, lents et pesants.
Depuis longtemps, depuis mon adolescence, une idée me revient, récurrente. J’imagine que je pars acheter une boite d’allumette et que je disparais. Je laisse cette vie pour tenter d’en construire une autre ailleurs, laissant derrière moi celle-ci trop pénible. C’est un rêve de joker. Une petite mort.
J'ai très envie d'abandonner mes vieux oripeaux composés de soucis, de tracas, de contrariété, de laisser tomber ce lourd manteau pour renaître à la vie.
Le problème n'en aurait pas pour autant disparu, lui, et il viendrait hanter ma famille. Je ne veux pas leur laisser ce poison.
Je n'irais pas acheter des allumettes aujourd'hui.